Sankuru : La suspension des plénières par Jacquemain Shabani viole-t-elle la Constitution ?
La destitution du gouverneur Victor Kitenge Kanyama, survenue le lundi 26 mai 2025, a déclenché une vague de polémiques tant dans les sphères politiques que juridiques. En réaction, le Vice-Premier ministre, ministre de l’Intérieur, de la Décentralisation et des Affaires coutumières, Jacquemain Shabani, a adressé un télégramme à l’Assemblée provinciale du Sankuru, ordonnant la suspension des plénières jusqu’à nouvel ordre. Il a également convoqué les membres de cette institution à Kinshasa pour des consultations politiques. Une décision qui suscite un tollé dans la société politico-administrative et parmi les observateurs du droit public.
Une mesure controversée
Cette intervention soulève une question fondamentale : le ministre de l’Intérieur dispose-t-il de la compétence pour suspendre le fonctionnement d’une assemblée provinciale élue ?
Depuis avril 2024, l’Assemblée provinciale du Sankuru s’est dotée d’un nouveau bureau, conduit par Lambert Makondjo Nonge (président), accompagné de Stanislas Oyono Ofumbo (vice-président), Fiston Bookson Ilonga (rapporteur), Nissy Nkoy Musango (rapporteur adjoint) et Emmanuel Edingo (questeur). C’est ce bureau qui a piloté la procédure ayant conduit à la déchéance de Victor Kitenge, élu gouverneur un mois auparavant, déclenchant ainsi la réaction du VPM de l’Intérieur.
Une décision politiquement lourde, juridiquement discutable
Bien que de telles décisions ministérielles aient déjà eu lieu dans l’histoire politique du pays, plusieurs juristes estiment qu’elles dépassent le cadre légal.
Maître Cicéron Owamba, avocat à la Cour d’appel de Kinshasa/Matete, rappelle que l’article 197 de la Constitution confère aux assemblées provinciales le pouvoir d’exercer un contrôle politique sur les gouvernements provinciaux, notamment à travers des motions de défiance.
Il souligne également que l’article 3 de la Constitution reconnaît aux provinces une autonomie administrative et politique, exercée par des institutions issues d’élections locales. La loi organique sur la libre administration des provinces n’accorde en aucun cas au ministre de l’Intérieur le pouvoir de suspendre les activités d’une assemblée provinciale.
« Le ministre peut constater des irrégularités et saisir les juridictions compétentes, comme la Cour d’appel ou la Cour constitutionnelle, mais il ne peut se substituer à ces instances », affirme, sous anonymat, un professeur de droit public basé à Kinshasa.
Vers une saisine de la Cour constitutionnelle ?
Face à ce que beaucoup considèrent comme une ingérence illégale, des voix appellent à la saisine de la Cour constitutionnelle afin de trancher sur la légalité de cette suspension. En attendant, les plénières sont suspendues, paralysant le fonctionnement démocratique de la province.
Pour de nombreux experts, cette affaire met en lumière la nécessité de réaffirmer le principe de décentralisation, pierre angulaire de la gouvernance en République démocratique du Congo. Toute tentative de recentralisation, surtout par voie administrative, risque de créer un précédent dangereux pour les autres provinces.
Une crise à suivre de près
Le cas du Sankuru s’impose comme un test majeur de la maturité institutionnelle du pays. Alors que la RDC ambitionne de renforcer l’État de droit, cette crise pourrait marquer un tournant dans l’interprétation des rapports entre le pouvoir central et les entités décentralisées.
Patrice LOMUMBA Lokola
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